☆ La disparition ☆
G.P.
1969
Concours ABC : 14/26
Trahir qui disparut, dans La disparition, ravirait au lisant subtil tout plaisir. Motus donc, sur l'inconnu noyau manquant - « un rond pas tout à fait clos finissant par un trait horizontal » -, blanc sillon damnatif où s'abîma un Anton Voyl, mais d'où surgit aussi la fiction. Disons, sans plus, qu'il a rapport avec la vocalisation. L'aiguillon paraîtra à d'aucuns trop grammatical. Vain soupçon : contraint par son savant pari à moult combinaisons, allusions, substitutions ou circonclusions, jamais G.P. N'arracha au banal discours joyaux plus brillants ni si purs. Jamais plus fol alibi n'accoucha d'avatars si mirobolants. Oui, il fallait un grand art, un art hors du commun, pour fourbir tout un roman sans ça !
Avis
Voilà un roman qui m'apparaît plus qu'original. Un parfait duo liant un fond à "l'incisif plaisir du bon mot". Loin d'avoir un charabia sibyllin, un galimatias confus, un imbroglio, G.P montra ici non sans brio qu'on pouvait obscurcir, assombrir à jamais l'inscription qui nous suivait, paraissant comme la Damnation, dans tout mot. Pari contraignant, mais il voila "un rond pas tout à fait clos finissant par un trait horizontal". Quant au brillant plan du roman ; avatars aussi furtifs qu'attachants, puis un fatal sort qui nous apparaît à la fin trop clair. Bravissimo donc, au grand scribouillard d'Oulipo.
Citations
* "Un charabia sibyllin, un galimatias diffus. Un imbroglio."
* "Un sanglot aussi long qu'un violon automnal."
* "mis sur son vingt-huit plus trois"
* "Nom d'un Toutou !"
* "Marchons, marchons ! D'un sang impur irriguons nos sillons."
* "Pourquoi toujours vouloir unir un Pourquoi à la Mort ?"
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En savoir plus
Après m'être pliée à cet exercice, rien n'est plus vrai que l'aphorisme de Boileau : ce qui ce conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire viennent bien plus aisément. Vous n'avez sans doute rien compris à mon charabia, don't worry, je me trouvais dans le même état après la lecture du résumé. Sachant le défi que s'était fixé Perec, au début je dois dire que je guettais les mots du coin de l'oeil, je les attendais avec retenue, j'étais attentive à la manière dont l'écrivain allait s'y prendre pour tenir 300 pages. Je prêtais plus attention aux mots eux mêmes qu'au sens de l'histoire. Au fil des pages, je me suis finalement faite à l'idée qu'une voyelle manquait au bouquin et que Perec était un pur génie, l'histoire m'est alors apparue aussi impressionnante que le défi de l'auteur. Tout est lié. La forme est au service du fond. On a à faire à une succession de morts "inexplicables" des personnages. Le roman se construit tel une enquête, on avance de révélations en révélations, le tout sur un style léger, qui ne se prend pas du tout au sérieux. J'ai vraiment trouvé ce livre excellent, transcendant. Par ses inventions, ses détours de la langue pour arriver à s'exprimer tout en respectant son pari, Perec m'a également fait réfléchir sur les mots, leur utilisation, leur étymologie, leur sens. L'auteur faisait parti de l'OuLiPo ; Ouvroir de Littérature Potentielle, dont Queneau que j'adore était aussi un membre.
Il paraitrait que "la disparition" du e pourrait être mise en relation avec la disparition des parents de l'écrivain durant la guerre.
Si une autre oeuvre lipogrammatique ("à qui il manque une lettre ») vous intéresse, il existe si je puis dire l'opposé du livre : Les Revenentes.
En résumé : Un livre extravagant et intelligemment construit, à s'y plonger sans plus attendre. Surement une de mes meilleures lectures.